samedi, novembre 22, 2008

Un article dans "Le Monde"


La junte birmane fait fi de l'opinion internationale et de l'ONU
LE MONDE 19.11.08
Y aller ou ne pas y aller ? La vague de lourdes peines prononcées à l'encontre de près de 80 opposants birmans en une semaine pose un nouveau défi à la communauté internationale et place le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, qui envisageait de retourner en Birmanie en décembre, dans une position délicate.
Des condamnations d'étudiants et d'opposants à des peines allant de six ans et demi à douze ans et demi d'emprisonnement ont encore été annoncées, lundi 17 novembre, à Rangoun par la Ligne nationale pour la démocratie (LND), le parti d'Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la paix assignée à résidence. La sévérité des sentences prononcées les 10 et 11 novembre - vingt ans de prison pour un jeune blogueur, 65 ans de détention pour plusieurs militants - a surpris plus d'un observateur, six semaines après la libération d'une dizaine d'opposants à la faveur de l'amnistie de 9 000 détenus de droit commun.
Cette répression accrue montre le peu de cas que fait la junte birmane de l'opinion internationale et révèle un peu plus clairement une stratégie "assez fine", notent plusieurs experts de la question birmane, à New York et en Asie, qui préfèrent rester anonymes. Les dix opposants libérés, parmi lesquels U Win Tin, l'un des anciens dirigeants de la LND, emprisonné depuis dix-neuf ans, l'ont été le 23 septembre, soit cinq jours avant la réunion à New York, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU, du groupe ad hoc sur Myanmar rassemblant 14 pays et l'Union européenne, dont certains ont salué cette mesure positive. En réalité, la stratégie des généraux birmans est de libérer une poignée d'opposants qui, en raison de leur âge (U Win Tin a 79 ans et une très mauvaise santé) et de leur isolement (ils sont placés sous étroite surveillance) sont inoffensifs, d'autant plus que les jeunes militants sur lesquels ils pourraient s'appuyer sont, eux, envoyés en prison - et pour longtemps.
Les organisations de défense des droits de l'homme estiment à 2 000 environ le nombre de prisonniers politiques en Birmanie. "Le régime veut s'assurer que les quelque 1 500 personnes capables de semer le trouble en Birmanie sont hors d'état de nuire, derrière les barreaux, estime un expert qui se rend régulièrement en Birmanie. Après ça, on peut libérer les vieux, voire même Aung San Suu Kyi : que peuvent-ils faire sans troupes ?"
Les généraux n'entendent donc tolérer aucune contestation à l'approche des élections prévues en 2010 dans le cadre de leur "feuille de route vers la démocratie". C'est là que la voie est étroite pour l'ONU, dont les agences à Rangoun ont été encouragées par un très bon niveau de coopération avec les autorités birmanes sur l'assistance aux victimes du cyclone Nargis, dans le delta de l'Irrawaddy.
Cette coopération a été engagée après la visite de Ban Ki-moon qui, fin mai, a débloqué une situation humanitaire désespérée en allant rencontrer le numéro un du régime, le général Than Shwe. La séparation des questions humanitaires et politiques était alors jugée inévitable ; Ibrahim Gambari, l'envoyé spécial du secrétaire général pour la Birmanie, n'était pas du voyage et il ne fut question ni d'Aung San Suu Kyi ni de réformes politiques pendant cette entrevue. Mais, selon des sources de l'ONU, Ban Ki-moon indiqua qu'il pourrait revenir plus tard pour discuter d'autres questions.
L'occasion s'est présentée en décembre, MM. Ban et Gambari devant se rendre en Thaïlande pour assister au sommet de l'Asean (Association des nations d'Asie du Sud-Est) le 18 décembre. A l'issue de la réunion du groupe de Myanmar, fin septembre, le ministre singapourien des affaires étrangères, George Yeo, avait estimé que le secrétaire général ne "devrait retourner en Birmanie que s'il y avait de clairs signes de progrès". Aujourd'hui, reconnaît un proche de Ban Ki-moon, "il ne semble pas que les conditions soient réunies" pour une visite du secrétaire général de l'ONU.
La séparation de l'humanitaire et du politique était-elle une erreur ? L'assistance fournie par la communauté internationale après le cyclone a-t-elle eu pour effet involontaire de renforcer la junte ? Les avis sont partagés. Un expert pense que l'ONU a "raté l'occasion d'utiliser Nargis comme levier pour étendre l'action humanitaire à d'autres parties du pays" où les besoins sont immenses : "Peut-être s'est-on laissé entraîner par l'élan humanitaire, sans analyser les conséquences politiques ".
Pour le représentant de la France à l'ONU, Jean-Maurice Ripert, "il va falloir rompre le silence autour de ce qui se passe en Birmanie ". D'autres, au contraire, considèrent que l'aide humanitaire ne doit pas être utilisée comme un levier politique et que la situation birmane actuelle offre des possibilités qu'il faut exploiter par "un engagement maximum". Selon l'un de ces spécialistes de la Birmanie, deux transitions sont en cours dans le pays : le changement de génération au sein de l'armée, qui va faire apparaître dans les mois qui viennent de nouveaux personnages à des postes élevés, et le processus électoral de 2010 qui, bien que non démocratique, fournit l'occasion d'un renouvellement de personnel. "2009 va être la période la plus fluide qu'on ait connue depuis longtemps en Birmanie. C'est le moment d'y pénétrer et d'essayer d'influer le plus possible", dit cet expert.
Philippe Bolopion (à New York, Nations unies) et Isabelle Tournier

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